Historique : comment en sommes-nous arrivés à utiliser la microfluidique de gouttes ?

Phage display

Les anticorps ont un potentiel thérapeutique élevé. Un obstacle majeur était la nécessité d’utiliser des anticorps humains pour limiter toute réponse immunitaire. Ceci s’est révélé extrêmement difficile jusque dans les années 1990, la technologie des hybridomes utilisée pour créer des anticorps monoclonaux de souris étant inadaptée pour les anticorps humains.
Une solution fut développée au laboratoire MRC de biologie moléculaire de Cambridge au début des années 1990. Avec Greg Winter, Andrew Griffiths a développé la méthode du « phage display », un système d’évolution dirigée pour la sélection d’anticorps humains à visée thérapeutique. Le phage display est basé sur le principe de l’évolution darwinienne appliquée à des molécules en laboratoire par plusieurs cycles de mutation et sélection. Un élément clé fut de parvenir à maintenir le lien entre génotype (le code ADN) et phénotype (l’activité à sélectionner). Cette technologie permet tout autant d’étudier les mécanismes fondamentaux d’évolution des molécules que leur ingénierie à des fins applicatives.

Compartimentation in vitro

Le phage display est un système simple et efficace pour sélectionner une activité d’attachement. Cependant il n’est pas bien adapté à la sélection d’activités catalytiques ou de régulation. Pour franchir ces limitations, Andrew Griffiths et Dan Tawfik (maintenant au Weizman Institute) ont développé la compartimentation in vitro (IVC), dans laquelle le lien entre génotype et phénotype est tout simplement assuré au sein de microgouttes d’eau dans l’huile. Cette idée reproduit le fonctionnement des cellules où les gènes (ADN), les ARN et protéines codées par ces gènes, les produits de leur activités catalytiques sont contenus à l’intérieur d’une même membrane. Ces gouttes d’eau ont un diamètre typique de 2,6 microns (équivalent à la taille d’une bactérie), soit un volume de 5 femtolitres, soit 50 microlitres fragmentés en 10 milliards de gouttes. Ces gouttes sont des versions très simplifiées des cellules, donc bien plus aptes à l’ingénierie.

L’IVC a été utilisée pour sélectionner des protéines et ARN pour de nombreuses activités de reconnaissance, de catalyse et de régulations (voir la partie Publications). Il est a noté également que cette idée a naturellement débouché à la PCR en émulsion, qui est maintenant utilisée pour la préparation de plusieurs technologies de séquençage de nouvelle génération.
Mais la polydispersité des émulsions limite leur utilisation à des fins biologiques, car il est très difficile d’obtenir des données quantitatives ou de manipuler les gouttes de manière standardisée. Ainsi, le laboratoire se concentre maintenant sur la microfluidique de goutte, qui permet de dépasser ces limitations.

Microfluidique en gouttes

En 2005, nous avons amorcé une collaboration avec les laboratoires David Weitz (Harvard) et Jérôme Bibette (ESPCI ParisTech) pour développer des systèmes de microfluidique de gouttes pour la biochimie et les biotechnologies. La microfluidique permet en effet de générer des émulsions hautement monodisperse (< 3% de variation de diamètre). Les mesures sont alors compartimentées en gouttes d’eau dans une phase continue d’huile perfluorocarbonée.
Chaque goutte, d’un diamètre allant de 1 à 100 microns, sert de microréacteur indépendant d’un volume de seulement 1 picolitre à 1 nanolitre. Le volume de chaque test est donc réduit jusqu’à 1 million de fois comparé à des méthodes conventionnelles en microplaques de 1536 puits d’environ 1 microlitre.
Depuis 2005, nous avons développé de nombreux outils microfluidiques et amélioré cette technologie.

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